« Lors des célébrations du cinquantième anniversaire des Droits de l’homme en 1999 à Paris, Amnesty International avait organisé un concert de rock à Bercy, avec Peter Gabriel et d’autres musiciens, et avait demandé au Dalaï-Lama s’il acceptait de faire une apparition surprise, ce qu’il accepta volontiers. Tandis qu’il attendait dans les coulisses, il prit la main d’un électricien comme si c’était son ami de toujours. Puis on annonça : « Et voici l’invité surprise de la soirée, le quatorzième Dalaï-Lama du Tibet ! » Quand il s’est avancé sur le plateau tout illuminé, entre deux morceaux de rock, quinze mille jeunes se sont dressés comme un seul homme et lui ont fait une formidable ovation, la plus forte de la soirée selon l’applaudimètre.
Il s’est avancé jusqu’au bord de la scène en disant : « Ecoutez, je ne connais rien à votre musique, mais je vois dans vos yeux cette lumière, cette jeunesse, cet enthousiasme… » Puis il a prononcé quelques mots sur les Droits de l’homme. La foule a fait « chuut ! » pour mieux l’entendre. C’était la première fois que j’assistais personnellement à un concert de rock, mais je suppose qu’on n’y entend pas beaucoup de « chuut ! ». Et puis, quand le Dalaï-Lama a eu fini de parler, tous se sont levés et ont applaudi à tout rompre. J’avoue que l’émotion m’a fait monter les larmes aux yeux. Aucun de ces jeunes n’était venu voir le Dalaï-Lama, pourtant un contact extraordinaire s’était immédiatement créé entre eux et lui. Je suppose qu’ils ont tout de suite ressenti l’authenticité de ce qu’il était et de ce qu’il disait. Ce phénomène ne peut pas être provoqué artificiellement, même à grand renfort de conseillers en communication. Il faut qu’il y ait une vraie cohérence, une présence authentique, une parole juste. »
Matthieu Ricard